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Rien ne va plus

Dans l’obscurité oppressante des catacombes, le combat continue de s’intensifier. Le fracas des lames contre les corps des morts-vivants résonnent dans la salle, étouffées par l’épaisse poussière lumineuse qui danse toujours autour des combattants. L’atmosphère est irrespirable, pesante, et le rire glacial de Rigault, à la fois moqueur et dominateur, semble puiser dans leur énergie, nourrissant le désespoir rampant.

Hugel, déterminé mais débordé, tente de toucher Rigault avec sa baïonnette, mais l’aura surnaturelle du docteur semble déjouer ses efforts. Chaque attaque est un échec, et Rigault, imperturbable, continue à rire doucement, sa voix résonnant comme un glas funèbre.

De son côté, Pressi, dans une explosion de rage et de concentration, parvient à frapper un mort-vivant avec sa rapière. Le coup est précis, et la créature s’effondre dans un amas grotesque. Juste derrière lui, Dupois, encouragé par ce succès, achève à son tour un autre revenant d’un coup net. À ce moment-là, un détail étrange attire leur attention : Rigault, sans perdre son sourire narquois, se frotte brièvement le bras, comme si une piqûre d’insecte venait de le déranger. Leur victoire, aussi minime soit-elle, semble avoir un effet sur lui.

Babin, hache en main, affronte Rigault d’une manière différente. Leurs regards se croisent dans un duel silencieux mais intense. Luttant contre une force invisible, Babin serre les dents, son corps tout entier tendu dans une confrontation mentale terrifiante. Rigault, quant à lui, ne perd rien de son assurance mais ses yeux brillent d’une lumière sinistre, comme s’il cherchait à écraser l’esprit de Babin. Mais le soldat reste immobile, inflexible.

Soudain, Beaumains, concentré sur son adversaire immédiat, est pris par surprise. Une main cadavérique surgit de l’ombre et le griffe profondément dans le dos. Il pousse un cri de douleur, vacille un instant mais retrouve rapidement ses appuis. La colère dans ses yeux remplace la douleur, et d’un mouvement rapide, il retourne son mousquet, plante sa baïonnette dans le torse de son assaillant et le fait tomber dans un craquement sinistre. Malgré la blessure, Beaumains continue à se battre, son visage déformé par une détermination farouche.

Dans ce chaos, un mouvement inattendu attire l’attention de la troupe : le sergent Renault. Sans crier gare, il traverse le champ de bataille, ses pas rapides et décidés comme s’il était attiré par quelque chose au-delà de la mêlée. « Qu’est-ce qu’il fait ? » s’étonne Beaumains, haletant. Renault ne répond pas, ses yeux fixés sur une petite cavité sombre dans le mur plus loin. Sa course est presque irréelle, comme guidée par une force invisible, et il crie soudain : « Pressi, avec moi ! »

Déconcerté, Pressi hésite, mais l’intervention de Beaumains, qui se glisse entre lui et un autre mort-vivant, lui permet de se dégager pour suivre Renault. « Vas-y ! » hurle Beaumains, le visage tendu par l’effort, sa baïonnette plongeant à nouveau dans un ennemi. La scène est chaotique, chaque mouvement crucial pour leur survie.

Dupois, quant à lui, se bat vaillamment mais finit par recevoir un coup violent qui le déséquilibre. Il grogne, son mousquet glissant presque de ses mains, mais il se ressaisit, réplique et parvient à terrasser un autre mort-vivant. « Ils arrivent de partout, on va pas tenir ! » hurle Beaumains, son désespoir palpable.

Pendant ce temps, Rigault, toujours intouchable, semble savourer le chaos qu’il orchestre. Sa voix s’élève à nouveau dans un chant guttural, une mélodie sinistre et irrégulière, ponctuée de rires stridents. Chaque note semble amplifier leur désarroi, et son sourire, figé en un rictus malsain, reste omniprésent.

Les morts-vivants affluent encore, une bonne douzaine de nouvelles silhouettes sortant des ténèbres pour remplacer les corps tombés. Leur démarche mécanique, presque hypnotique, est un rappel constant de l’horreur sans fin de leur situation. La salle, avec ses murs ornés d’ossements et sa lumière mauve omniprésente, devient une scène de cauchemar où chaque soldat doit puiser dans ses dernières forces, repoussant à la fois les monstres et l’idée même de leur propre fin.

La chaleur oppressante des catacombes alourdissait chaque souffle. Les rires narquois de Rigault résonnaient dans les ombres mouvantes, semblant se moquer de leurs efforts désespérés. Le chaos régnait dans la salle, un champ de bataille macabre où la vie et la mort s’entremêlaient de manière grotesque.

Hugel, essuyant des coups acharnés, tenta de se dégager d’un mort-vivant qui s’accrochait à lui comme une sangsue. Dans sa panique, voulant fuir, il recula trop vite, trébucha et s’écroula sur le sol humide et crissant de fragments d’os. Avant qu’il ne puisse se redresser, une griffe putride lui lacéra violemment le flanc, arrachant un cri de douleur qui résonna au milieu du vacarme.

« Hugel ! Tiens bon ! » hurla Beaumains, son visage marqué par une détermination implacable.
Hugel se tortilla, cherchant à échapper aux griffes décharnées, mais le sang s’échappant de sa blessure rendait ses gestes plus lents, ses forces diminuant à vue d’œil.

Une course folle

Dans l’obscurité oppressante du tunnel, le rire de Rigault résonnait encore, bien que plus lointain, comme un rappel sinistre que leur épreuve n’était pas terminée.

Les couloirs, sombres et insondables, s’étirent devant eux comme un labyrinthe sans fin. L’air est lourd, chargé d’une odeur de pierre mouillée et de terre retournée. Le sol, glissant sous leurs bottes, menace de les faire trébucher à chaque pas précipité.

L’urgence est palpable : la créature, cette silhouette étrange et hybride, leur intime de la suivre. Sa voix, criarde et aiguë, leur parvient comme un murmure insistant entre les échos.

« Ne traînez pas ! » siffle Renault à mi-voix, jetant un regard sévère par-dessus son épaule. Il mène la troupe, sa main gauche tenant fermement la lanterne, la droite toujours posée sur la poignée de son sabre. Babin le suit de près, les sourcils froncés, son mousquet prêt à l’action malgré l’apparente absence de danger immédiat. Dupois, Hugel, et Pressi peinent à maintenir le rythme, leurs respirations haletantes emplissant les lieux d’un bruit discordant. Beaumains ferme la marche, le visage fermé, ses pensées semblant plus sombres que les ombres qui dansent sur les murs.

La silhouette, grande et élancée, bondit avec une agilité inhumaine, ses mouvements évoquant ceux d’un prédateur en chasse. Chaque apparition, chaque mouvement précis, semble calculé pour les maintenir dans sa course sans jamais leur permettre de l’approcher complètement. « Où nous emmène-t-elle ? » murmure Pressi, son souffle entrecoupé de la fatigue accumulée. Mais aucune réponse ne lui parvient, si ce n’est un nouveau cri aigu, presque une injonction.

Les murs changent peu à peu, abandonnant leurs macabres ornements de crânes et d’ossements pour laisser place à une architecture plus méthodique, presque élégante dans sa simplicité. Les blocs de pierre taillée, vieillis par le temps, évoquent l’époque romaine ou peut-être les anciennes carrières de Lutèce. Les couloirs s’élargissent et s’effacent par moments dans de vastes salles voûtées. L’une d’elles, immense et presque sacrée dans son architecture, rappelle une église enterrée, ses arches s’élevant dans l’obscurité.

« Ce ne sont pas les catacombes… » souffle Dupois, ses yeux tentant de percer l’obscurité. Renault hoche la tête sans répondre, son regard rivé sur la créature qui, au loin, ralentit enfin, leur laissant un bref répit.
La troupe s’arrête dans une pièce plus petite mais suffisamment spacieuse pour tous. Beaumains s’assied lourdement contre une paroi, son visage marquant autant la douleur que l’épuisement. Hugel, pâle et visiblement affaibli, s’effondre à côté de lui. « Pas trop tôt, » grogne Babin, déposant son sac et sortant un chiffon pour panser les plaies de ses camarades.

Renault se tient à l’écart, scrutant l’ouverture par laquelle leur guide a disparu. Il ne dit rien, mais son visage fermé trahit son inquiétude. Pressi s’affaire à bander la blessure de Hugel, marmonnant des encouragements à mi-voix. « Tu vas tenir, Hugel. Je te l’interdis sinon. »
Beaumains fixe Renault d’un regard dur, le silence entre eux devenant plus pesant que l’atmosphère elle-même.

Finalement, il brise le silence :
« Sergent, quand tout cela sera fini… nous aurons une conversation. »
Sa voix est calme, mais son ton ferme et chargé de reproches. Renault tourne légèrement la tête, mais ne répond pas. Ce n’est ni le moment ni le lieu, mais les mots de Beaumains tombent comme une lame tranchante dans la pièce. Babin, Dupois et Pressi échangent des regards nerveux, mais personne n’intervient.

Le répit est de courte durée. La créature, toujours invisible, pousse un cri strident au loin. « Elle nous presse, » murmure Dupois, se relevant péniblement. Renault reprend la tête de la file, suivi de près par Babin. La méfiance renaît, et chacun resserre son emprise sur son arme.

La progression reprend. La fatigue pèse sur leurs membres, mais la peur d’être laissés derrière les pousse à continuer. La silhouette se manifeste régulièrement, apparaissant juste assez longtemps pour leur indiquer la direction à suivre avant de disparaître à nouveau. Son cri aigu, bien qu’irritant, est devenu un point de repère, presque rassurant dans cet environnement où tout semble vouloir les engloutir.

Au détour d’un couloir, la créature se tient là, immobile, comme si elle les attendait. Devant eux, une nouvelle salle semble s’ouvrir. L’air devient plus sec, chargé d’une tension palpable. Renault serre sa lanterne, le souffle court, et avance prudemment. « Restez sur vos gardes, » murmure-t-il, sa voix tranchant le silence.

Les tunnels semblaient s’étirer à l’infini, chaque pas résonnant comme un écho d’outre-tombe. La créature devant eux s’arrêtait par intermittence, tournant sa tête canine dans leur direction, ses yeux reflétant une lueur inquiétante à la lumière tremblotante de leurs lanternes. Son jappement strident, presque humain, fit frissonner la troupe.

« Ne traînez pas ! Suivez-moi… et surtout, n’ayez pas peur. »
Ces mots, prononcés dans un souffle aigu et grinçant, pesèrent lourdement sur le silence oppressant. Renault fronça les sourcils mais ne dit rien, se contentant de presser le pas. Les hommes échangèrent des regards rapides, cherchant un réconfort fugace dans les yeux de leurs camarades, mais le doute et l’inquiétude se lisaient sur chaque visage.

Beaumains, qui fermait la marche, marmonna à voix basse :
« Ne pas avoir peur… Facile à dire. Mais de quoi, au juste ? »
Pressi lui répondit, ses mots empreints d’un calme forcé :
« Peu importe. On continue. On sortira de cet enfer. »

Ils débouchèrent finalement sur une ouverture qui donnait sur une salle si vaste qu’elle semblait engloutir leur frêle lumière. Renault, en tête, leva sa lanterne, illuminant un sol en pierre taillée et des murs ornés de gravures effacées par le temps. Une odeur écœurante monta immédiatement, mêlant la pourriture, le fer rouillé, et une âcre humidité.

« C’est un triclinium, » souffla Renault, sa voix étrangement rauque. « Une salle à manger… romaine. »
Les mots résonnèrent étrangement, comme déplacés dans cet environnement cauchemardesque.

La troupe entra lentement, chacun tentant de contenir son souffle face à la scène qui se dévoilait peu à peu.

Partout autour d’eux, des goules se repaissaient de cadavres humains. Leurs corps déformés, à la peau grisâtre et parcheminée, étaient une abomination contre nature. Elles déchiquetaient la chair avec des griffes sales et des mâchoires béantes, émettant des bruits de mastication grotesques mêlés à des grognements gutturaux. L’odeur devint presque insupportable, un mélange de décomposition avancée et de viande fraîchement arrachée.

Beaumains plissa le nez mais ne broncha pas. Pas un seul des hommes, hormis Hugel, ne montra le moindre signe de panique. Hugel vacilla légèrement, sa main s’agrippant à l’épaule de Babin.
« Tiens bon, Hugel, » murmura Babin. « Ce n’est rien comparé à ce qu’on a déjà vu. »

La créature jappa de nouveau, plus fort cette fois, et les goules relevèrent la tête, leurs yeux laiteux fixant l’intruse. Elle grogna, montrant ses crocs, et les monstres s’écartèrent, obéissant à ce qui semblait être leur chef. Un chemin se forma lentement au milieu de cette mer de corps décharnés.

« On avance, » ordonna Renault d’une voix ferme.
Ils suivirent la créature, leurs pas crissant sur un sol jonché d’ossements et de viscères. Chaque membre de la troupe serra un peu plus son arme, le bruit de leurs bottes couvert par les grognements et les râles des goules qui se pressaient autour d’eux. Beaumain murmura, presque pour lui-même :
« Même pas peur… C’est ça, hein ? Plus rien ne peut nous toucher. »

Les hommes progressaient, indifférents au chaos qui les entourait. Ils avaient traversé des nuits d’horreur, affronté des morts-vivants et des trahisons indicibles. Cette scène macabre, aussi abjecte soit-elle, ne suffisait pas à briser leur résilience.

Hugel, toujours pâle, reprit son souffle et murmura :
« On devrait être morts cent fois. Pourquoi on est encore là ? »
« Parce que quelqu’un doit l’être, » répondit Pressi, sans détourner son regard de la créature devant eux.

Enfin, la salle s’effaça derrière eux, et les murs étroits des couloirs revinrent les entourer. Peu à peu, une lumière argentée perça à l’horizon.

Le monde semblait s’être figé autour d’eux. Sous la lumière crue de la pleine lune, les ruines, telles des vestiges d’un autre âge, projetaient des ombres immenses, distordues, évoquant des spectres silencieux. L’air libre leur parvint enfin, glacial, portant encore des effluves terreux mêlés aux relents nauséabonds de ce qu’ils laissaient derrière eux dans les profondeurs.

La troupe tituba hors de la gueule béante des catacombes, le pas hésitant, comme si chacun doutait de la réalité de ce moment. Beaumains, blessé mais indomptable, porta son regard sur ses camarades. Hugel, pâle comme un linge, se tenait légèrement à l’écart, tentant de reprendre son souffle. Renault, à l’avant, fixait leur guide avec une intensité mêlée de prudence et de défi.

La créature les attendait, assise sur un monticule de terre, un petit os entre ses griffes. Elle rongeait distraitement l’os, ses yeux plissés les fixant avec une curiosité étrange.
« Vous êtes arrivés, » dit-elle, sa voix rauque brisant le silence de la nuit.
Le silence tomba sur le groupe, un silence chargé de tout ce qui n’avait pas encore été dit.

Entretien avec une goule

La troupe :
« Excusez-moi… mais vous… qui êtes-vous, exactement ? »
(La voix tremble légèrement, hésitante. Le souffle court, encore marqué par les horreurs qu’ils viennent de fuir.)

La goule :
(Un sourire tordu se dessine sur son visage décharné. Ses yeux, deux puits sombres, semblent lire en eux comme dans un livre ouvert.)
« Comment ça, qui je suis ? Je suis celui qui vient de vous sortir d’un mauvais pas, on dirait. Vous m’en remerciez à peine, d’ailleurs… »

La troupe :
(Un court silence, gêné. Quelqu’un balbutie.)
« Merci… Merci infiniment. Mais… avez-vous un nom ? »

La goule :
(Elle lève la tête, comme pour sonder les étoiles invisibles au-dessus d’eux. Sa voix est rauque, teintée d’une mélancolie sourde.)
« Un jour, il y a bien longtemps, on m’appelait Guillaume. Mais ce nom a perdu son sens. »

La troupe :
(Une pointe de curiosité mêlée d’appréhension se glisse dans la question suivante.)
« Guillaume… Qu’est-ce qui s’est passé en bas ? »

La goule :
(Son rire éclate, sec et dénué de joie. Une cacophonie qui semble se répercuter dans les ruines autour d’eux.)
« Vous vous êtes attaqués à la folie de ce monde, et vous ne vous en êtes même pas rendu compte. Regardez autour de vous, soldats ! Toutes ces têtes qui tombent… Bienvenue dans la fin des temps, mes amis. Moi ? Moi, je suis le fou des fous. Tout le monde est devenu fou, et moi, je ne suis que le fou d’un monde devenu fou. »

La troupe :
(Un murmure partagé entre défiance et fascination.)
« Vous voulez dire que… vous ne comprenez pas mieux que nous ce qui se passe ? »

La goule :
(Ses traits se figent, son regard semble percer au-delà des limites humaines.)
« Ce que je sais, c’est que partout, des guillotines tranchent sans relâche. Les victimes se succèdent, et personne ne sait plus pourquoi. Vous… soldats, vous êtes les rouages d’un mécanisme devenu insensé. Réfléchissez : ces créatures que vous avez affrontées en bas… À qui profite tout cela, à votre avis ? »

La troupe :
(Une voix tremblante répond, à peine audible.)
« Le… le diable ? »

La goule :
(Un sourire carnassier étire sa bouche. Elle s’approche lentement, ses mouvements à la fois fluides et désarticulés.)
« L’au-delà, mon ami. Vous avez parfaitement raison. »

La troupe :
(Après un instant de silence pesant, une autre voix ose poser la question fatidique.)
« Mais… qu’est-ce qui vous est arrivé, Guillaume ? »

La goule :
(Son sourire s’efface. Un voile d’amertume obscurcit son regard. Sa voix, lorsqu’elle reprend, est à peine un murmure.)
« Bien des choses que vous ne pourriez comprendre, et qui ne vous intéresseraient sans doute pas. Mais celui que vous avez affronté en bas… Celui que vous avez essayé, en vain, de détruire… Il va livrer toute cette cité à l’au-delà. Vous êtes déjà dans l’au-delà. C’est son œuvre, et il l’a presque achevée. Et vous, soldats… qu’allez-vous faire maintenant ? »

(Un silence glacial enveloppe la troupe, tandis que les paroles de la goule s’insinuent en eux, comme une brume mortelle.)

La troupe :
(La tension monte d’un cran, mais une étincelle de détermination éclaire les regards des soldats.)
« Le tuer. Rigaut doit être stoppé. Et vous… qu’allez-vous faire ? Vous nous avez tirés d’un mauvais pas, mais qu’est-ce qui vous aurait empêché de nous abandonner là-bas, à notre propre fin ? »

La goule :
(Son rire rauque s’élève, éraillé, résonnant dans la nuit comme un écho venu des entrailles de la terre. Elle incline légèrement la tête, un sourire sinistre dévoilant des dents usées.)
« Vous n’avez rien remarqué d’étrange en bas ? Quand vous luttiez contre lui ? Toute cette poussière, ce vortex de lumière, ces têtes gravées de symboles étranges… »
(Sa voix se fait plus basse, plus grave.)
« Vous n’avez pas encore compris… Chaque fois qu’une lame de guillotine s’abat, c’est ce même vortex qui tourbillonne. Dites-moi… n’avez-vous rien vu, dehors ? Les guillotines… Vous en avez vues, non ? »

La troupe :
(Quelques hochements de tête nerveux. Une voix répond enfin, hésitante.)
« Ah oui… oui, on en a vu. Partout. »

La goule :
(Son sourire s’élargit, carnassier. Elle s’avance légèrement, son ombre déformée dans la lumière lunaire, immense et grotesque.)
« Peut-être même êtes-vous prédestinés à les connaître de plus près. Alors, dites-moi… rien ne vous a marqué sur ces guillotines ? Vous les avez bien regardées, n’est-ce pas ? »

La troupe :
(Un silence gêné s’installe. Une voix finit par murmurer, presque inaudible.)
« Non… Rien de particulier. »

La goule :
(Elle soupire, théâtrale, puis laisse échapper un ricanement étouffé.)
« Ah, voilà ! Vous voyez… Vous ne pouvez pas faire ce que moi je peux. Moi, je peux parler avec la mort. Et elle m’a parlé du capitaine Malon. »
(Sa voix devient plus grave, ses mots chargés d’une sombre intensité.)
« Oui, Malon… Arrêté en avril 1794. La raison ? Un toast porté au roi. Vous le saviez, ça ? Non ? Je vais vous dire autre chose : l’accusateur de Malon était un certain Alexis Roux, un tavernier miteux du cœur de Paris. »
(Elle marque une pause, le regard perdu dans une lointaine réflexion.)
« Ce témoignage… un faux témoignage, bien sûr. Ce Roux avait été soudoyé. Et devinez par qui… Rigaut. Oui, le Rigaut que vous connaissez. »

(Les soldats échangent des regards inquiets. La goule continue, sa voix presque hypnotique.)

« Malon, un enragé, un homme de convictions. Il s’est débattu jusqu’au bout. Quand il est monté sur la planche, il criait à l’injustice. Ses dernières paroles ont marqué la foule :
‘Si j’avais imaginé une telle trahison possible, c’est bel et bien à la santé du monarque que j’aurais levé mon verre, et non à celle des idiots qui se tiennent devant moi.’
Et puis… la lame a frappé. »

(Un silence oppressant envahit l’espace. La troupe semble figée, comme si chaque mot avait ouvert une faille dans leur esprit.)

La troupe :
(Puis, comme une évidence qui s’impose brutalement, un des soldats murmure d’une voix rauque et tremblante.)
« Les guillotines… En bas de chaque guillotine… il y avait un médaillon. »
(Les souvenirs affluent, nettes et glaçants, alors qu’ils échangent des regards sombres.)
« Ces médaillons… le symbole. C’était le même que celui qu’on a vu gravé sur les crânes dans la salle de l’horreur. »

La goule :
(Un sourire carnassier fend son visage difforme, et elle s’avance d’un pas, sa voix rauque et méprisante emplissant l’espace autour d’eux.)
« Vous commencez à comprendre. Oui, il a fait marquer bon nombre de lames de ces guillotines avec ce poison secret, ce vortex que personne ne peut voir. Chaque fois qu’une lame s’abat, elle arrache l’âme du pauvre décapité et le propulse quelque part… »
(Elle lève un doigt crochu vers le ciel, ses yeux brillants d’une lueur étrange.)
« Probablement au centre du cosmos. Vers le trône d’Azathoth. »
(Sa voix se teinte d’une excitation presque maniaque.)
« À cet instant, leurs voix se joignent dans un chœur stellaire, une mélodie d’une puissance indicible. Ah, cette mélodie… Peu peuvent l’entendre, et encore moins peuvent la comprendre. Elle résonne pour ceux qui savent. Rares sont ceux qui peuvent interpréter une telle harmonie. »

(Elle hoche lentement la tête, ses traits déformés par un rictus sournois.)
« Et… ces têtes, quand la lame s’abat… À l’instant du trépas, les têtes perçoivent l’indicible, ces secrets que nul homme ne saurait connaître. Mais ce n’est pas tout. »
(Sa voix se fait plus grave, plus menaçante.)
« Ces souvenirs, ces fragments d’horreur et de vérité, traversent l’espace et le temps pour venir se loger… »
(Elle marque une pause dramatique, son regard s’attardant sur chacun d’eux.)
« … dans chaque crâne inscrit sur la peau du docteur Rigaut. Maintenant, dites-moi : avez-vous compris ce que tout cela signifie ? »

La troupe :
(La panique monte parmi eux, mais l’un d’eux, maîtrisant à grand peine sa peur, murmure 🙂
« D’accord… Alors qu’est-ce qu’on peut faire ? Vous semblez tout savoir. Comment l’empêcher ? Comment arrêter Rigaut ? »

La goule :
(Un éclat ricanant s’échappe de sa gorge, un bruit guttural et dérangeant. Elle plisse les yeux, un brin d’ironie dans la voix.)
« Enfin, un érudit parmi vous… Écoutez bien, mes amis. Tout ce que je sais, je l’ai appris dans une cité ancienne, une cité que l’on appelle Inquanok. »
(Elle se recule légèrement, semblant perdre son regard dans des souvenirs lointains.)
« Là-bas, il y a un tailleur d’onyx. Chaque jour, il sculpte des noms dans une langue qu’il ne parle pas. Cette langue, vous savez laquelle c’est ? »
(Elle s’arrête, leur laissant un moment pour digérer ses paroles avant de continuer.)
« C’est le français. Chaque nom qu’il grave appartient à une victime de la lame. Chaque nuit, il rêve de vous. Chaque jour, il poursuit sa liste, implacable, sans fin. »
(Sa voix s’éteint presque en un murmure.)
« Parfois, il guette le son du grand achèvement, celui qui lui dira qu’il est temps de poser ses outils… et de mourir. »
(Un silence pesant s’installe avant qu’elle ne conclue.)
« Alors, que voulez-vous faire maintenant ? »

La troupe :
(L’un des soldats, encore tremblant des horreurs de la nuit, prend la parole, un mélange de curiosité et de prudence dans la voix.)
« Que peut-on faire pour vaincre Rigaut ? »

La goule :
(Elle ricane, un son rauque et désagréable, avant de répondre avec une pointe d’ironie.)
« Je l’ignore. C’est ce qui arrive quand on tient ses prophéties d’un sculpteur d’onyx analphabète… Ce n’est pas très fiable, avouez. »
(Elle laisse planer un silence lourd, puis reprend, plus sérieusement :)
« Cela dit, j’ai vu Rigaut consulter à plusieurs reprises une sorte de livre noir, relié de cuir avec une étrange armature en laiton. J’en déduis qu’il contient les clés de son rituel. Si vous le trouviez, ce livre pourrait dévoiler comment interrompre son pouvoir, comment annuler cette magie qui le rend invulnérable. »
(Elle marque une pause, scrutant les visages des soldats.)
« Mais Rigaut est prudent. Ce livre, il ne s’en sépare sûrement pas. Je crois qu’il le garde toujours avec lui… ou du moins lorsqu’il est dans ces catacombes infernales. »

La troupe :
(Un des soldats marmonne, incrédule :)
« Vous voulez qu’on trouve un livre… dans les catacombes ? »

La goule :
(Elle secoue la tête avec un soupir agacé, dévoilant des dents noircies.)
« Vous auriez peut-être plus de chance de le chercher chez lui. Rigaut habite rue Neuve-Saint-Augustin, pas loin des Tuileries. Vous n’aimez pas l’idée d’explorer les catacombes ? Je comprends. Chez lui, ce sera peut-être… plus simple. »
(Elle ponctue ses mots d’un sourire énigmatique, à mi-chemin entre la compassion et la moquerie.)

La troupe :
(Un autre soldat intervient, l’air grave :)
« Dites… Rigaut aurait-il pris son savoir du comte Fénalik ? »

La goule :
(À ces mots, la créature se fige. Ses yeux s’écarquillent de terreur, et son corps se tend comme s’il craignait une attaque imminente. Après quelques secondes, elle balaye les environs d’un regard méfiant avant de répondre, d’une voix brisée :)
« Ah… ce monstre. »
(Elle frissonne, secoue la tête et reprend, plus calmement.)
« Cet horrible personnage a commis d’innombrables meurtres. »

La troupe :
(Un murmure de fierté passe parmi eux.)
« C’est notre troupe qui l’a arrêté. »

La goule :
(Un rire guttural monte en elle, mais il est dépourvu de joie.)
« Vous avez bien fait. Il avait l’habitude de nous… laisser ses restes. Une manière efficace de faire disparaître les preuves, sans laisser de trace. C’était… profitable, pour nous, à une époque. »
(Sa voix devient plus douce, presque triste.)
« Pendant un temps, j’ai vécu à Poissy, sous la Collégiale Notre-Dame. Un jour, je m’étais faufilé dans son manoir pour vérifier si l’une de ses… captives n’avait pas succombé dans la nuit. Par hasard, j’ai vu… »
(Elle s’interrompt, visiblement mal à l’aise.)
« …J’ai vu le comte caresser les bras d’une étrange statue, comme un amant enfiévré. »

La troupe :
(Un des soldats hoche la tête.)
« On l’a détruite, cette statue. Mais… il y avait d’autres choses dans ce manoir. Peut-être que Rigaut y a trouvé ce livre… qui sait. »

La goule :
(Elle semble soulagée par cette nouvelle et acquiesce lentement.)
« C’est possible. Ce que vous me dites me rassure, en un sens. Cela fait bien… quatre ou cinq ans que je n’ai plus entendu parler de cet abominable personnage. Le manoir a été détruit, la cave comblée. »

La troupe :
(Un autre intervient, sceptique :)
« Mais à mon avis, Rigaut a tout déménagé avant… »

La goule :
(Elle hoche la tête, pensive.)
« Oui… c’est fort possible. Ce qui expliquerait pourquoi Rigaut détient maintenant ce genre de pouvoir. »

La troupe :
« Rigaut était bon avant. Il a sauvé la vie d’Hugel… Pensez-vous qu’on pourrait le faire revenir du bon côté ? »

La goule :
(Elle semble réfléchir un instant, son ton grave.)
« J’avoue que je ne saurais vous aider plus avant. Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu tant de morts en France que le rituel qu’il mène est proche de son terme. »
(Elle marque une pause, puis continue d’une voix plus sombre.)
« À ce propos, je soupçonne que la Fête de l’Être Suprême, prévue sur le Champ de Mars, le 8 juin, sera son moment choisi. Devant Robespierre lui-même, devant la Convention nationale au grand complet… »
(Son regard se perd un instant avant de reprendre, son ton devenant plus alarmant.)
« Cela mettra un terme brutal à la fête, à la Révolution, mais plongera Paris dans une tragédie bien pire encore. Azathoth… celui qui récupère toutes les âmes. »

La troupe :
(Un silence pesant tombe avant qu’un des soldats murmure, presque incrédule :)
« Azathoth ? »

La goule :
(Elle hoche la tête, comme si ce nom seul pesait lourdement sur sa conscience.)
« Oui. Toutes ces âmes, envoyées l’une après l’autre, se joignent au cœur qui chante la mélodie. Lorsque 10 000 âmes auront été envoyées vers le Trône d’Azathoth, alors… le Cœur des crânes se mettra à chanter. »
(Sa voix devient presque prophétique, et un frisson parcourt la troupe.)
« Ce jour-là, Paris et la France entière seront submergées. Ce nombre fatidique sera bientôt atteint. »
(Elle les fixe avec une intensité qui glace le sang.)
« Je ne m’attends pas à ce que vous me croyiez. C’est à peine si moi-même j’ose y croire. Et pourtant, c’est la vérité. »
(Elle sourit faiblement, un sourire empreint d’une sombre certitude.)
« J’en ai eu la preuve… dans la cité d’Inquanok. »

La troupe :
(Curieux et troublés, ils demandent en chœur :)
« Inquanok ? C’est où ça ? »

La goule :
(Sa voix devient presque rêveuse, mais reste teintée d’un mystère inquiétant.)
« Dans les Terres Oniriques… la Contrée des Rêves. Un endroit inaccessible pour vous. »

La troupe :
(Renault, revenant au présent, demande d’un ton plus pragmatique :)
« Alors, des conseils ? Que devons-nous faire ? »

La goule :
(Regardant le ciel où l’aube commence à poindre, elle murmure d’un ton grave :)
« Soyez prudents. Le soleil est sur le point de se lever… Je vais devoir vous quitter. Soldats, puissiez-vous arrêter Rigaut avant qu’il ne parvienne à ses fins. »

La troupe :
(Beaumain, sincère, s’avance légèrement et incline la tête.)
« Merci. Sans vous, nous serions morts, et le monde n’aurait plus aucune chance. Si nous réussissons, ce sera grâce à vous. »

La goule :
(Un dernier regard, teinté d’une tristesse insondable, et elle répond simplement :)
« Je ne pense pas que nous nous reverrons. Soyez prudents. Allez en paix. Adieux. »

(Sans un bruit, la goule s’éclipse dans l’ombre des ruines, disparaissant dans les tunnels souterrains. La troupe reste immobile, contemplant l’aube naissante. Le poids de leurs découvertes pèse lourdement sur leurs épaules, mais ils savent que leur mission est encore loin d’être achevée. Face à l’immensité de leur tâche, ils n’ont qu’une certitude : le temps presse.)

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Cet article a 2 commentaires

  1. Yanick RUF
    Yanick RUF

    Une fois de plus, BRAVO Gilles et Jean-Marc, vous vendez du rêve 🙂 <3