Une porte, un couloir, un monstre… 2/3

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Un Couloir

Nos lampes à huile ne percent que faiblement ce voile de ténèbres, projetant des ombres tremblotantes qui dansent le long des murs de pierre suintants. Chaque pas résonne comme un écho funèbre, un rappel que nous ne sommes pas seuls dans ces profondeurs.

Nous avançons, lentement, prudemment, le silence lourd comme une chape de plomb sur nos épaules. La tension, viscérale, s’insinue en nous, froide et acérée. Elle se propage à travers nos rangs, chaque respiration semble un fardeau, chaque pas une transgression contre l’ordre des lieux. Mais malgré la peur qui suinte de chaque mur, nous restons implacables. À notre droite et à notre gauche, des grilles d’acier rouillé dressent leurs barreaux, comme les dents d’une gueule affamée. Ces cellules, vestiges d’une époque oubliée, semblent avoir été dévorées par l’obscurité elle-même.

L’absence de vie rend l’air lourd, presque irrespirable. Nous ne voyons que le vide au-delà des barreaux, pourtant, chaque ombre paraît plus dense que la précédente, comme si elle cachait des choses que nos esprits ne sont pas prêts à affronter. Le froid y est plus mordant, presque tangible, comme la caresse d’une main invisible traînant sur nos nuques. On s’imagine alors ce qui a pu se jouer dans ces cachots. Qui ou quoi y a été enfermé ?

Le sol terreux respire encore la mort. On pourrait presque sentir l’écho des cris, l’agonie résonnant dans les murs, comme des souvenirs qui refusent de mourir. La peur, elle, est bien vivante. Elle rampe le long de nos corps, souffle à notre oreille que quelque chose observe, guette. Peut-être Fénalik… ou pire.

Nous avançons encore. Grille après grille, la même vision désolée se répète, jusqu’à ce que, soudain, le sergent Renaut s’arrête net. Là, dans la cellule de gauche, il aperçoit une forme recroquevillée au sol. Impossible de dire si elle est vivante ou morte. Une silhouette humaine, mais dans quel état… Il nous faut nous en approcher, comprendre mais la grille résiste, elle est verrouillée.

Dupois s’active pour ouvrir la grille précédente. Elle s’ouvre avec un grincement prolongé, dévoilant une cellule vide. Mais le regard de Dupois s’accroche à une porte dissimulée, celle qui mène à la cellule voisine. Celle du corps.

L’équipe se rassemble autour de cette porte. Nous savons ce que nous allons trouver, mais cette certitude rend la découverte encore plus insupportable. L’idée de ce qui se cache derrière ces murs fait battre nos cœurs plus vite, les battements résonnant presque dans nos oreilles, comme des tambours macabres.

Le sergent Renaut pose la main sur la poignée. Le grincement de la porte, alors qu’elle s’ouvre lentement, nous déchire les nerfs. Nous nous attendons à l’horreur, et pourtant, lorsque la cellule nous révèle son contenu, nous ne sommes pas prêts.

Là, au milieu du sol de pierre froide, gît une forme recroquevillée. Le corps. Immobile, déformé, grotesque. La première chose qui frappe, c’est le sang. Il macule la peau, les murs, le sol, comme des éclaboussures d’un festin macabre. Des marques de fouet, sombres et profondes, strient la chair comme des cicatrices infligées avec une violence sadique. Elles racontent l’histoire d’un supplice prolongé, méthodique, presque ritualisé.

Le corps, à demi replié sur lui-même, se protège en vain. Sa position fœtale semble désespérée, comme une ultime tentative de résistance face à une terreur indicible. Mais le pire, c’est ce fouet. Il repose là, à quelques pas du cadavre, enroulé comme un serpent venimeux. Ses lanières tâchées de sang dégoulinent encore, comme si le supplice venait juste de cesser, comme si la douleur résonnait encore dans les murs.

Le silence est total, et pourtant, dans nos esprits, les cris du supplicié continuent de résonner. Le sergent et les autres restent figés un instant, incapables de détacher leurs regards de cette vision. La cellule, minuscule et étouffante, est imprégnée de la souffrance. Une odeur de chair brûlée et de sang rance flotte dans l’air, suffocante. C’est plus qu’un corps mutilé que nous découvrons. C’est l’empreinte d’un esprit brisé, torturé jusqu’à l’ultime limite.

Mais ce n’est pas tout. Juste à côté de cette scène cauchemardesque, trône un fauteuil somptueux. Un siège d’une opulence éclatante, rouge vif, d’un tissu si riche qu’il semble incongru au milieu de la terre battue et des ténèbres glacées de la cellule. Ce contraste est insupportable : une horreur brutale d’un côté, et de l’autre, l’image du confort, de la décadence. Ce n’est pas difficile de l’imaginer… Fénalik, assis là, observant chaque cri, chaque spasme de douleur, ses yeux brillants d’un plaisir indicible. Chaque coup de fouet était sans doute une jouissance, chaque lambeau de chair arraché un délice pour son esprit tordu.

La scène nous assaille tous : un être aussi sadique que Fénalik, savourant ce spectacle de douleur comme un banquet macabre, se délectant de la souffrance, se nourrissant de chaque hurlement, transformant cette cellule en un théâtre privé de barbarie. Là où le supplice a arraché l’humanité de la victime, Fénalik a trouvé un plaisir sans limite, une sorte de perversion ultime qui nous révulse et ébranle nos certitudes.

La dualité entre douleur et plaisir, entre cette scène atroce et le confort somptueux du fauteuil, s’impose à nos esprits. Ce lieu devient une allégorie terrifiante de la folie qui menace de nous engloutir. Nous sommes à deux doigts de basculer, suspendus dans cette tension, face à l’ignominie d’un être qui incarne la perversion la plus absolue. C’est à ça que nous faisons face : une monstruosité aussi insaisissable que cruelle. La folie rôde à chaque coin de ce lieu, menaçant de nous happer.

Nos esprits vacillent. L’horreur de la scène nous laisse un goût amer, une peur sourde, celle de perdre pied, de céder à la démence qui s’insinue lentement, perfidement, dans nos pensées. Mais nous n’avons pas le luxe de nous attarder. Les ténèbres nous entourent toujours, mouvantes, oppressantes. Nous devons continuer.

Je reprends la tête avec le sergent, laissant le reste de l’équipe digérer cette nouvelle épreuve. Nous progressons à nouveau dans ce couloir interminable, et quelque chose change. Les murs semblent s’éloigner, s’étirer, comme si nous approchions d’un autre lieu, d’un autre niveau de cette folie. Enfin, nous atteignons ce qui semble être une salle, un cul-de-sac oppressant, où la lumière de nos lanternes révèle peu à peu les contours d’une nouvelle horreur.

Deux cercueils reposent de part et d’autre de la pièce, symboles d’une mort qui n’a probablement jamais trouvé la paix. Une statue grotesque, à peine discernable depuis le seuil, se dresse devant nous. Dès l’instant où nos yeux la captent, elle nous dérange. Quelque chose dans sa forme, dans son essence même, ne devrait pas exister. À mi-chemin entre l’humain et une momie desséchée, une figure tordue, comme si la nature avait voulu la rejeter hors de ce monde. Ni de pierre, ni de métal, sa matière est indescriptible, malsaine.

Mais le pire n’est pas la statue elle-même. Non, c’est ce que nous commençons à entendre. Un murmure, une plainte. Puis d’autres, de plus en plus nombreuses, un concert de gémissements humains qui émanent de nulle part et de partout à la fois.

 Ces voix déchirent nos âmes, fouillent nos esprits pour y semer la terreur et le doute. Chaque note résonne comme un écho lointain de notre propre désespoir, nos santés mentales déjà si fragiles mises à rude épreuve. Nous ne sommes plus qu’à un pas de la folie. Un souffle, une brise suffirait à nous précipiter dans l’abîme.

Et puis, soudain, tout bascule.

Du plafond, la brume commence à s’écouler, lente et menaçante, suintant des tuyaux suspendus, formant une marée noire qui semble vivante. Nos cœurs se figent. La silhouette indistincte de Fénalik, cette fumée que Pressis avait aperçue, est là, sous nos yeux. Il arrive. Nous sommes pris au piège dans ce sanctuaire maudit. Nos esprits vacillent à nouveau, et la question que nous n’osions pas formuler sort enfin de nos lèvres tremblantes :

Qu’allons-nous devenir ?

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